À Cotonou, au Sommet Climate Chance Afrique 2025, il n’y avait pas que des ministres, des bailleurs et des experts sous les projecteurs. Dans les couloirs, sur les marches, autour des stands, une autre force s’organisait : celle des communautés qui vivent le changement climatique au quotidien, sans budget climat, sans délégation officielle, mais avec des réalités qui brûlent. Cette force a un nom : la Caravane africaine pour la justice climatique.
« La Caravane africaine pour la justice climatique est un mouvement citoyen qui rassemble une dimension plurielle de la société civile : les ONG, les groupes de jeunes, les communautés, les leaders religieux, les maraîchers, les femmes, les collectivités… » explique ATTEGOUA Hambalatama Marceline, coordinatrice du mouvement.
Née en 2021, la Caravane est d’abord une réponse à une frustration largement partagée sur le continent : les décisions-clés sur le climat sont prises très loin des lieux où les impacts sont les plus violents. Sécheresses, inondations, pertes de récolte, salinisation des sols, déplacements forcés : pour des milliers de familles africaines, le changement climatique n’est pas une notion géopolitique abstraite, c’est l’agenda quotidien. Et pourtant, rappelle la coordinatrice, « l’Afrique contribue uniquement à 4 % des émissions de gaz à effet de serre », mais elle paie une partie du prix le plus lourd.
La Caravane s’est structurée comme un outil politique… mais un outil politique ancré dans le terrain. Sa méthode est directe, presque frontale : aller dans les communautés, écouter, traduire, transmettre. « Nous mobilisons ces communautés, nous traduisons les décisions au niveau global dans leur dialecte, pour qu’elles comprennent ce qui se discute dans les négociations internationales », dit-elle. « Ensuite, nous collectons les initiatives qui marchent, parce que ces communautés sont toujours à l’avant-garde du développement de leur milieu. Elles sont porteuses de solutions innovantes pour faire face aux crises climatiques. »
Ce point est central : pour la Caravane, les communautés ne sont pas des victimes qu’on vient “sensibiliser”. Elles sont des productrices de solutions. Agroécologie paysanne centrée sur l’humain, énergies renouvelables à échelle locale, gestion collective des ressources, adaptation communautaire à l’érosion des côtes ou à l’irrégularité des pluies… Tous ces savoirs sont considérés comme des réponses crédibles, pas comme du folklore.
La Caravane documente ces réponses. Elle les fait circuler entre pays. Et surtout, elle tente de les porter là où se prennent les décisions : dans les COP, dans les espaces de négociation climat, dans les rencontres ministérielles. L’un des rôles assumés du mouvement est d’« amener la voix des communautés qui ne peuvent pas prendre place à ces tables de négociation », résume la coordinatrice.
Mais l’ambition ne s’arrête pas là. La Caravane agit aussi comme une plateforme de renforcement politique. Elle fédère des coalitions nationales, organise des ateliers de formation, crée des espaces de dialogue intergénérationnel, renforce les capacités des femmes, des jeunes et des futurs négociateurs climat. Objectif : que les acteurs de terrain sachent lire une décision internationale, comprennent les enjeux de financement, soient capables de parler « pertes et dommages, transition énergétique, agroécologie », avec la même aisance que les délégués officiels.
Dans les faits, cela veut dire former des porte-voix capables de dire non, aussi. Non, par exemple, à ce que la transition reste définie uniquement par des logiques de marché. La Caravane assume une critique ouverte de certaines « fausses solutions » climatiques avancées au nom de la neutralité carbone ou des compensations. Elle cite en particulier le marché carbone, présenté comme un outil de compensation vertueuse, mais qui pour beaucoup sur le terrain ressemble surtout à un mécanisme d’évitement des responsabilités des grands émetteurs. « Nous condamnons ces fausses solutions », insiste la coordinatrice. Pour elle, la justice climatique ne peut pas signifier qu’on achète le droit de continuer à polluer ailleurs.
À Climate Chance Cotonou, la délégation de la Caravane n’est pas venue uniquement pour intervenir dans une salle ou prendre une photo officielle. Elle est venue pour mailler. Lier les luttes. Mettre en réseau. « Aujourd’hui on entend des campagnes sur les énergies fossiles, des campagnes autour de l’agroécologie, des campagnes pour l’inclusion des femmes et des jeunes », relève ATTEGOUA Hambalatama Marceline. « Pour nous c’est important de pouvoir lier ces luttes ensemble, en tant que société civile, pour pouvoir parler d’une seule voix. »
Dans un paysage où chaque organisation se bat souvent sur un axe unique, énergie, agriculture, droits des femmes, jeunes leaders, l’approche de la Caravane est clairement stratégique : rapprocher ces combats au lieu de les mettre en concurrence. Faire émerger un front commun africain sur la justice climatique, lisible politiquement, audible diplomatiquement.
Dernier objectif affiché à Cotonou : capter des alliés. Et pas seulement parmi les ONG. La Caravane assume une démarche de plaidoyer direct auprès des autorités publiques, mais aussi auprès des bailleurs et partenaires techniques. L’idée est double : obtenir un relais politique pour porter les messages jusqu’aux sommets mondiaux, et sécuriser des appuis financiers pour continuer à structurer le mouvement dans plusieurs pays du continent.
En filigrane, un message traverse toutes les interventions : la justice climatique n’est pas un slogan militant importé. C’est une condition de survie collective. Et pour la Caravane, cette justice commence par quelque chose de très simple, presque évident : écouter d’abord celles et ceux qui vivent déjà la crise.
Dans les grands sommets internationaux, on parle souvent d’inclusion des parties prenantes locales. À Cotonou, ce n’était pas un élément de langage. C’était une présence. Une présence organisée. Une présence qui, désormais, a un nom, une méthode, une parole, et cherche à peser sur l’équilibre des négociations climatiques à venir.